Blaise Schwartz

                                                                                                                                                                      Paintings                Drawings            Other works                PortfolioPDF                Texts                Exhibitions views                Information                    






Entretien

avec Camille Paulhan



Pourrions-nous d’abord commencer par évoquer tes méthodes de travail ? Tu pars souvent d’images préexistantes, qui vont être le point de départ pour tes peintures, bien que ces images puissent par ailleurs disparaître totalement par la suite.

Je n’ai pas de méthode systématique : certaines images viennent de choses vues ou de photographies, d’autres sont imaginées. Je ne fais pas une peinture photographique car l’image n’a pas plus d’importance que l’ensemble des capacités abstraites de chaque peinture. La photographie me sert seulement à concrétiser des choses que je n’ai pas sous les yeux. 
    J’espère toujours que mes peintures peuvent atteindre un niveau formel qui engendre par lui-même de la compréhension, de l'imagination, des échos, de la même manière qu'un texte poétique tient par les sonorités et les rythmes, ainsi que par certains rapports sensibles ou logiques entre les mots. Je n’oppose pas les éléments abstraits aux éléments figuratifs, je les vois plutôt comme des graduations sur une même ligne qui constituent les différentes parties d’une même réalité. 

Tu évoques la peinture comme un texte poétique, et je sais que certains écrivains ont compté pour toi, plus encore que des peintres. Quel lien ferais-tu entre la littérature et ton travail ?

Michaux, Kafka ou Beckett ont tous les trois développé des formulations particulières, des narrations qui mettent en scène des personnages aux corps changeants, dans des espaces inséparables de ces corps. Leurs représentations des modes de vies, des architectures cérébrales, sont toujours liées de très près au rapport entre perception et activité. Tout ce qui est abstrait ou qui concerne la psychologie prend une forme très concrète, extérieure, distanciée, un peu froide. Le cinéma m’a également influencé, notamment celui de Pedro Costa, de Wang Bing ou de Johan van der Keuken, dont les rapports à la fiction et au documentaire rejoignent ces questions. Ce sont des réalisateurs qui ont tenté d’impliquer celui ou celle qui regarde leur film, et de le faire avant tout en travaillant la forme, et non de manière étroitement démagogique. 

Tu as parlé des espaces et des corps, je souhaiterais que l’on revienne sur ces deux composantes essentielles de ta peinture. Il y est souvent question d’une forme de solitude qui n’est pas forcément tragique mais vécue au-dedans, je me souviens que tu avais parlé de ton intérêt pour les lieux industriels un peu marginalisés, comme les quais, les docks…

L’errance est une méthode pour s’écarter d’un trajet quotidien. Dans mes peintures récentes, je me suis focalisé sur des lieux utilitaires, en mettant en avant leurs aspects techniques ou mécaniques liés au travail. Ce sont des lieux qui à certains égards ne sont pas satisfaisants, mais qui aiguisent la vitalité, de la même façon qu'un enfant est captivé par les capacités motrices d'un insecte ou la puissance des voitures et des avions. Lorsque j’ai réalisé ces peintures, un rythme a donné à ces espaces une forme particulière en même temps qu'il a découlé d'eux. Le rythme et les couleurs ont une capacité importante d’écho et de passage dans d’autres dimensions, qu’elles soient historiques, poétiques, politiques ou corporelles. Ces lieux sont une extension du corps humain individuel, des outils que celui-ci utilise, et dans cette extension ils deviennent sociaux. Prendre conscience qu’ils sont là, qu’ils ont une envergure, produit un effet similaire au fait de consulter une carte pour comprendre la disposition du lieu où l’on se trouve afin de s’orienter. Ces espaces rendent possible un type de liberté spatiale, physique et cérébrale à la fois. 
    
En ce qui concerne la figure, elle était il y a quelques années au centre de mes peintures ; mais aujourd’hui, c’est indirectement que je représente le corps. La conscience d’un corps présent dans la peinture, la regardant, ou encore en léger retrait de celle-ci est central. La peinture est à la fois une vue et un organisme à part entière. Je considère la peinture comme devant proposer ce que ne proposent pas les images des médias, qui nient l'expérience personnelle et ne créent pas de liens actifs avec le regardeur. Mon expérience de l'art réside peut-être là : inventer des images et des formes qui engendrent autre chose que des formes discursives, scientifiques, de design ou documentaires. Je veux éviter une image unique du corps, car celui-ci,  par son expérience quotidienne, est formé par les allers-retours entre contrôle et laisser-aller. Mais cela passe par l'activité de peindre, espace condensé de la construction de ce corps.


2016